La Communauté arménienne du Liban

ABDEL LATIF EL ZEIN
Député au Parlement libanais
Représentant de M. Nabih Berri, Président de l'Assemblée nationale libanaise

Parmi les thèmes soumis à notre réflexion, j'ai choisi celui-ci, parce que du fait de mes fonctions de député depuis plus de 42 ans et de mes attaches personnelles, je connais assez bien et apprécie beaucoup les arméniens.

Cette intervention sera donc un témoignage à la fois objectif et subjectif. En tant que député, j'ai été le témoin de l'action de députés et ministres arméniens, des regrettés Movsès Der Kaloustian et Khatchig Babikian, jusqu'au ministre et députés actuels messieurs Hovnanian, Kassardji, Oghassapian, Kassardjian, Toursarkissian et Demerdjian. Grâce à mes relations personnelles, j'ai eu la possibilité de connaître de près de nombreux arméniens de différents milieux et de carrières différentes. Je peux affirmer sincèrement qu'ils font honneur à leur pays et à leur communauté.

Des liens très anciens peuvent avoir existé entre les Arméniens et les Libanais des montagnes du Nord et du Kesrouan. Des habitants de la montagne font cas de leur ascendance arménienne et des prénoms arméniens, qui sont utilisés jusqu'à maintenant, semblent étayer cette hypothèse. Feu M. Babikian avait fait des recherches sur le sujet et affirmait que l'hypothèse n'était pas du tout hasardeuse.

Historiquement les Arméniens se sont installés au Liban à partir du XIXe siècle. Des moines arméniens catholiques ont trouvé refuge dans les montagnes du Kesrouan. Les Cheikhs Khazen de la région les ont protégés et ont mis à leur disposition leur wakefs. Des églises ont été bâties à Beit Khachbau, près de Ghazir, et à Bzoummar, un peu plus haut dans la montagne. Bzoummar a été plus tard le siège du Patriarcat arménien catholique et abrite actuellement un couvent célèbre, ainsi qu'un musée intéressant.

Mais c'est après le génocide perpétré par le gouvernement ottoman, pendant la première Guerre Mondiale, que les Arméniens sont venus s'installer en masse au Liban. A partir de 1920 surtout, des émigrés fuyant la Cilicie abandonnée aux ottomans par les Français ont installé des camps à Beyrouth et dans le Sud Liban. De nouvelles vagues d'émigrés venant cette fois-ci du Sandjak d'Alexandrette en 1939, sont venues s'installer à Andjar, dans la plaine de la Bekaa et près de Sour, au Sud. J'ai moi-même connu à bas âge quelques-uns un d'entre eux qui vivaient et travaillaient dans ma région natale dans les terres de mon grand-père et plus tard de mon père et surtout dans la plantation du tabac. Car ce sont les arméniens qui ont introduit au Liban la culture du tabac, qui forme actuellement la ressource principale du Sud. En 1930, le Catholicos Sahagg II, de la Grande Maison de Cilicie a installé son siège à Antélias et organisé la communauté arménienne orthodoxe autour de son clergé. Cette organisation est encore valide. Les Arméniens catholiques, beaucoup moins nombreux, sont également organisés en communauté. Quant aux Arméniens protestants, ils font partie de la communauté évangélique, qui comprend des membres d'origines et d'ethnies différentes.

Actuellement, il ne reste rien des camps miséreux des années vingt et trente. Bourdj Hammoud est une ville florissante et Andjar n'est plus un simple village. Si le nom de ville ne lui convient pas encore, celui de bourg lui va parfaitement. Les municipalités des deux agglomérations sont dirigées par des maires arméniens.

Le Liban est le pays où les Arméniens de diaspora ont le mieux réussi leur intégration. Ils font partie des sept grandes communautés du pays, participent activement à la vie politique et culturelle de la nation, sont un élément essentiel de son économie. Tout cela, sans perdre aucunement leur identité.

En fait, en ce qui les concerne, il s'agit d'une identité double où l'appartenance nationale s'allie harmonieusement à l'appartenance communautaire. La structure du Liban, pays de communautés qui coexistent, favorise cette double fidélité. Les Arméniens orthodoxes ont leurs représentants nationaux à la Chambre des Députés (quatre) et leurs ministres au gouvernement (actuellement un seul, mais ils exigent un deuxième) et les Arméniens catholiques ont un député.

Le catholicos, actuellement S.S. Aram 1er, est le chef de tous les Arméniens de la juridiction de la Grande Maison de Cilicie. Le chef de la communauté arménienne est l'archevêque du Liban, actuellement Mgr. Kégham Khatcherian. Il est assisté d'un conseil ecclésiastique et d'un conseil civil qui gèrent les affaires de la communauté. Une assemblée élue tient lieu de parlement communautaire. Les civils forment la majorité écrasante de ces corps constitués. Les églises et les écoles de quartier sont gérées par des comités de quartier, mais ils dépendent de l'archevêché. Les Arméniens catholiques sont une organisation différente : les religieux y jouent un rôle prépondérant. Le nombre des écoles arméniennes, trois confessions confondues, atteint la trentaine. Il y a aussi une université arménienne, la Haïgazian, qui est gérée par les Arméniens protestants. Elle applique un programme d'études anglo-saxon, mais dispense aussi des cours en arménien.

Pour compléter le tableau, il faut encore dire que les trois partis nationaux arméniens, le Dachnak, le Ramgavar et le Hentchak, ont une existence légale au Liban. Ils ont leurs journaux et des organisations culturelles, sociales, sportives contrôlées par eux. L'Association générale de bienfaisance aussi y est présente. Trois écoles et une association sportive dépendent d'elle.

La communauté arménienne a eu la sagesse de ne pas participer à la guerre fratricide qui a ensanglanté le Liban dans le dernier quart du XXe siècle. Elle a appliqué une politique de neutralité positive, ne prenant parti pour aucun des clans belligérants, mais défendant son existence au besoin et beaucoup de vies humaines appartenant à d'autres communautés. Les Arméniens ont essayé de rester au-dessus de la mêlée et sont restés de toute façon en dehors d'elle. Ils ont maintenu des liens avec toutes les factions, mais pour les aider à se comprendre, non pour s'allier à l'une ou à l'autre.

C'était là une attitude éminemment nationale et patriotique, mais qui convenait aussi à leurs intérêts communautaires bien compris. Il leur était arrivé de s'opposer et même de se combattre les armes à la main, surtout lors des événements de 1958. Leurs dirigeants avaient tiré la leçon de ces affrontements fratricides et s'étaient mis d'accord pour les éviter.

Les Arméniens aussi ont eu des pertes humaines et matérielles du fait de la guerre, mais beaucoup moins que les autres grandes communautés libanaises. Comme elles toutes, ils ont eu aussi à affronter le fléau de l'émigration. Le nombre des Arméniens était considéré comme supérieur à 300 000. Ils sont moins nombreux maintenant, mais il n'y a pas de statistiques fiables à ce sujet. Ils sont toujours très dynamiques, mais ils se ressentent sûrement de cette hémorragie.

Que réserve l'avenir à cette communauté industrieuse, car l'industrie est synonyme à tout arméniens, les Arméniens ont bien réussi et ils ont excellé j'en suis bien témoin. Quel sera son rôle dans la vie de la nation au cours des années à venir ? Je suppose que le passé déterminera l'avenir et que cette communauté active continuera d'œuvrer pour le bien général de la Maison libanaise tout en gardant son identité, source de richesse culturelle et de créativité. Je le souhaite en tout cas du fond du cœur aussi bien que M. Nabih Berri, le Président de l'Assemblée Nationale libanaise que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui.




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