La Cause Arménienne, le génocide et le XXIème siècle

MICHEL MURR
Député libanais,
Ancien Vice-président du Conseil des Ministres,
Ancien Ministre de l'Intérieur de la République Libanaise

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d'abord remercier les organisateurs de cette Conférence de leur invitation. C'est en effet, pour moi, un grand honneur de prendre la parole devant vous, en ces lieux remplis d'histoire et de mémoire.

L'honneur qui m'échoit est d'autant plus grand que notre rencontre de ce jour est consacrée à un événement douloureux qui ne cesse de bouleverser la conscience des hommes. Le génocide dont fut victime le peuple arménien a marqué d'une tache indélébile l'histoire de l'humanité et surtout l'histoire des hommes au vingtième siècle. En me demandant de participer à vos travaux et à vos réflexions, vous m'offrez l'opportunité de souligner notre responsabilité, notre responsabilité à tous, devant le travail de mémoire que nous impose le génocide du peuple arménien.

De fait, Mesdames et Messieurs, il s'agit tout d'abord de ne pas oublier, et de faire aussi que le monde n'oublie pas, qu'à l'orée d'un siècle qui se voulait siècle de progrès et d'avenir, un peuple épris de liberté fut massacré, qu'il fut victime de la violence barbare qui s'abattit sur lui, et qu'il fut sacrifié à la folle volonté de ceux qui voulaient aux noms de fallacieux intérêts nationalistes et de sécurité éradiquer un peuple entier. Dans le monde de violence dans lequel nous sommes plongés, plus particulièrement au Proche-Orient, nous devons nous souvenir, qu'à la fin du XIXe et au début du XXe siècle un peuple fut constamment en butte à un pouvoir brutal, qui a poursuivi avec détermination son dessin : celui de dépouiller les Arméniens de leur identité, de leur volonté et de leur histoire. Les témoignages sont là qui concordent tous et qui s'imposent à tous, après que les historiens ont fait accomplir leur œuvre et que les pages noires de l'histoire arménienne sont à présent connues. Dès 1915, tous les procédés furent utilisés pour déporter un peuple et pour le déraciner. Par cohortes entières les Arméniens furent soumis à un déplacement forcé et ordonné. Leurs biens furent confisqués, leurs autorités civiles comme religieuses décimées, leurs villages livrés aux pillages et à la rapine. Un homme aussi éminent que Winston Churchill, estimait déjà en 1929, que sur une communauté de " plus de deux millions d'âmes près de sept cent cinquante mille avaient péri ". On sait aujourd'hui que sur plus de deux millions d'Arméniens en 1913, il n'en restant plus en Turquie, que cent mille en 1924…

Mais le peuple arménien a su dépasser son malheur et le surmonter. Près d'un siècle plus tard, voilà que le peuple arménien vit ! Il a résisté aux tentatives de son annihilation et il n'a pas oublié. Il n'a pas oublié le sacrifice de ceux qui sont tombés, qui ont payé de leur vie leur appartenance à leur nation, à une communauté de croyance, de langue de mœurs et de civilisation. Ce peuple fier de lui-même, travailleur et attaché à sa tradition, n'a cessé de résister et de lutter pour sa survie. En diaspora, comme au Liban, ou encore comme sur le territoire de l'Etat libre qu'il a retrouvé après la chute du communisme, il se souvient. Il se souvient pour rester fidèle à la mémoire de ceux qui ont souffert et qui sont morts, mais aussi pour qu'un crime aussi noir que celui dont il fut l'objet ne soit pas jeté dans les oubliettes de l'histoire ou qu'il sorte de la conscience et de la mémoire de l'humanité.

Les fils et filles de l'Arménie n'ont pas oublié les conditions dans lesquelles les leurs furent massacrés. Les enfants aujourd'hui honorent le souvenir de leurs parents. Ils souffrent du silence qui peut encore entourer le drame de leur nation ; ils s'insurgent et se révoltent contre l'entêtement de ceux qui continuent à nier le génocide perpétré contre eux, comme ils se réjouissent de l'attitude d'Etats qui, comme le Liban, la France et d'autres encore, courageusement évoquent, proclament ou reconnaissent le terrible génocide dont le peuple arménien fut la victime.

Mais si la lutte des Arméniens est d'abord une lutte contre l'oubli et pour la reconnaissance, ce n'est pas seulement pour que vive la flamme éternelle de l'hommage aux morts, c'est aussi pour que les leçons du génocide soient tirées et retenues. Il est de ce fait très important pour notre siècle qui commence que le génocide arménien soit connu et reconnu. Il y va là d'une conscience toujours plus grande de l'humanité de ses responsabilités et de ses devoirs. Or, le génocide arménien fut le premier génocide du XXe siècle. D'autres suivirent, aussi terribles. Dans la dernière décennie du XXe siècle, en Afrique, dans les Balkans, ou encore au Proche-Orient et particulièrement en Palestine, des peuples ont été ou sont encore l'objet de discriminations, de vexations et sont livrés à des bourreaux impitoyables. C'est pourquoi, du génocide arménien, nous devons tirer, pour les temps qui viennent, un devoir de vigilance et un devoir d'intransigeance. Nous devons rester en alerte devant les menaces qui pèsent sur les peuples et très tôt empêcher les crimes contre l'humanité qui s'annoncent dans des conflits marqués par le rejet des autres et la xénophobie. Nous devons aussi adopter des attitudes de fermeté et d'intransigeance contre ceux qui encouragent ou organisent la violence contre les populations civiles.

Au XXIe siècle, nous devons aussi continuer à lutter pour que justice soit rendue au peuple arménien et que le génocide de ce peuple soit reconnu par les nations. Car la violence qui fut faite à ce peuple fut au départ d'un cycle de malheurs. Pour n'avoir pas tiré très vite et très tôt toutes les leçons qui s'imposaient, nous nous sommes exposés à un développement au XXe siècle de situations tragiques pour de nombreux peuples de la terre. En nous tenant aux côtés du peuple arménien, en épousant sa cause et ses justes revendications, c'est pour les peuples du monde entier qu'en réalité nous agissons. En luttant avec le peuple arménien, en honorant sa mémoire meurtrie c'est la dignité et la mémoire de tous les peuples de la terre que nous préservons, pour que jamais plus le génocide ne soit possible ni toléré.

Je vous remercie de votre attention.




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